La gaffe du gars du gazon

L’été de mes dix-sept ans, j’ai perdu le meilleur contrat de tonte de pelouse de la ville parce que mon chum Patrick était un imbécile.

C’était le meilleur contrat surtout à cause de madame Lavoie. Quand monsieur Lavoie n’était pas à la maison — et dieu sait qu’il n’y était jamais — elle venait toujours nous offrir une pointe de tarte dès que le dernier carré de gazon venait d’être tondu. Vous aurez compris qu’elle ne parlait pas de pâtisserie et que celui qui dégustait sa tarte aux poils correctement pouvait en prime limer tous les orifices de la maîtresse de la maison jusqu’au retour du boulot de son légitime époux.

Or, ce n’était jamais le tour de ce crétin de Patrick de jouer à la bête à deux dos avec la charmante trentenaire, car il avait envie de vomir dès qu’un seul poil pubien avait le malheur de se glisser dans sa bouche. Chaque semaine, il se plaignait de ne jamais être choisi, de toujours devoir rester assis tout seul au soleil sur la terrasse pendant qu’on se tapait la cliente, que ce n’était pas juste, et patati et patata. Alors imaginez sa joie lorsque madame Lavoie vint lui demander s’il pouvait tailler son buisson lorsqu’il reviendrait, la semaine suivante.

Tout aurait été parfait si monsieur Lavoie n’avait pas été à la maison et surtout si cet abruti de Patrick n’était pas entré dans la maison, nu comme un ver, avec des ciseaux, un rasoir et de la crème à raser. Car non seulement ai-je dû tailler ce foutu thuya moi-même, mais j’ai perdu à cause de cette andouille de Patrick le meilleur contrat de tonte de pelouse et la meilleure tarte aux poils de la ville.

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À tâtons

— Touche-moi. Je veux seulement que tu me touches, me dit-il.

Si je l’avais touché il y a quelques minutes à peine, quand nous étions encore habillés et inconnus, que ce serait-il passé? J’aurais pu frôler son épaule, j’aurais pu caresser sa joue… comment aurait-il réagi, en public, sur le trottoir? M’aurait-il mis son poing à la figure? M’aurait-il souri? Aurait-il pris les jambes à son cou? Surtout, qu’est-ce que ce contact aurait alors signifié, à ce moment précis?

Maintenant que je baigne dans l’air lourd qui entoure son corps, que sa chaleur et son aftershave s’insinuent dans ma chair, maintenant qu’il réclame ma caresse, pourquoi ce contact aurait une signification différente? Il s’agit pourtant des mêmes hommes, mus par de la même pulsion libidinale et impétueuse. Au point où nous en sommes, que je touche sa nuque du bout de l’index ou que je fasse vriller ma langue sur son gland, est-ce que ça fait vraiment une différence?

Il me regarde avec ses yeux verts, tendres, suppliants. Je crois que la réponse à toutes mes questions se trouve entre ses cuisses.

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Fist ce que doigt

(Honni soit qui mal y pense: il s’agit simplement d’un papier trouvé dans l’emballage d’un bonnet de natation.)

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Catalogue vénérien: chapitre deuxième

(Tiré du Catalogue vénérien du ci-devant Pierre Moleskine, compilé par ses propres soins et destiné à l’édification morale des générations futures.)

Célibat

Je qualifie de « célibat » la période qui s’étend de ma puberté au début de ma vie de jeune adulte, puisque c’est le seul temps de ma vie où je ne fus pas « en couple ». À partir de l’âge de 22 ans, j’ai toujours eu une compagne officielle avec qui je vivais marié ou en concubinage. Ainsi, de 13 à 22 ans, alors que j’étais monomaniaque et essentiellement une bombe à retardement hormonale, j’eus un nombre limité d’expériences sexuelles, d’abord masculines et ensuite féminines.

Si on exclut la première année passée à Sherbrooke, j’ai fait tout mon secondaire dans une école publique de la banlieue de Montréal. C’était une immense polyvalente que j’ai détestée dès le premier jour : elle ressemblait à un lourd blockhaus de béton et aurait pu sans problème contenir une tornade tellement tout à l’intérieur était conçu à l’épreuve de ces bêtes sauvages que sont les adolescents. Je m’y suis senti en prison et ce fut une réelle libération que de diplômer et ne jamais y retourner.

J’ai aussi, dès le premier jour, détesté les adolescents. Mes camarades me semblaient grégaires à l’extrême, bêtement obsédés par la popularité et organisés comme des meutes de chiens, sous la direction de mâles alpha aussi stupides que tyranniques. Quant à moi, j’étais sans conteste un mâle bêta, pour des raisons que semblaient flairer instinctivement les garçons et les filles de mon âge. J’étais timide, sensible, artiste de tempérament et je m’adonnais à des activités qui, si elles étaient révélées au grand jour, risquaient de m’étiqueter définitivement dans la catégorie infamante des « fifs » : j’écrivais de la poésie, je jouais du piano et je lisais des LIVRES (l’horreur). Il fallut que je me mette à la guitare électrique et que je joue dans un band pour alléger les soupçons du troupeau quant à la qualité chancelante de ma virilité. Par bonheur, je restai toujours un mâle becta et ne devint jamais un individu oméga, un de ces « rejet » intouchables qui étaient les souffre-douleur universels de la société adolescente que nous formions. L’un d’entre eux, surnommé « Capou » (je ne me souviens même plus de son vrai nom — en avait-il vraiment un?) était un pauvre animal traqué, blessé et traumatisé, qui m’inspirait à la fois la pitié et une peur immense (et lâche) de devenir comme lui.

J’étais donc plutôt solitaire, bien que je fisse partie d’une « gang » composée de premiers de classe, mâles beta par définition. La plupart d’entre eux sont devenus de gras ingénieurs banlieusards;  je les ai perdus de vue après mon mariage. L’un d’entre eux maria la sœur de mon ex et fut ainsi mon beau frère pendant quelques années. Ces garçons s’habillaient tous à peu près de la même façon (le look en noir des amateurs de rock alternatif des années quatre-vingt), partageaient les mêmes loisirs (le vélo, essentiellement) et ne manquaient aucune danse au centre des jeunes et à l’école. Quant à moi, j’étais un peu à la marge du groupe : je faisais de l’acné, ma bécane était pourrie, mes parents ne voulaient pas me payer les fringues qui constituaient l’uniforme du groupe et je faisais de la natation de compétition et des cours de sauvetage, ce qui systématiquement m’empêchait de sortir les vendredis et samedis avec eux. À partir de la quatrième année du secondaire, ils se mirent tous à avoir des blondes, ce qui m’isola encore davantage. Rétrospectivement, je me rends compte que si je n’avais pas été claviériste et guitariste pour le groupe de deux d’entre eux, je ne crois pas que j’aurais eu ma place parmi des garçons de bonne famille.

À partir de quinze ans, je me mis à consommer de la pornographie. Ce n’était pas très difficile d’acheter des revues de cul dans les dépanneurs — j’avais l’air plus vieux que mon âge et on ne m’a jamais demandé de pièce d’identité. Il m’arrivait aussi de prendre l’autobus et de me rendre dans les vidéo peep shows  du centre-ville de Montréal où, pour quelques vingt-cinq sous, je pouvais visionner des films hardcore en me branlant. J’étais aussi excité à la vue d’un homme baisant une femme que de deux hommes s’amusant entre eux — ce qui me distinguait de mes petits camarades, qui n’en avaient que pour les scènes de lesbiennes. Lire la suite

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Les règles des bains

(telles que je les ai comprises à force de les fréquenter)

Les mecs portant des slips de sports ont tendance à fricoter avec d’autres mecs portant des slips de sports. Personne ne fricote avec ceux qui portent des strings roses

Baiser dans le bain tourbillon peut causer des malaises cardiaques.

Essayer d’inhaler des poppers sous l’eau est une très mauvaise idée.

Mieux vaut ne pas rester couché sur le ventre, le cul bien relevé, car on ressemble ainsi à un taille crayon électrique.

La conversation dans la salle d’orgie doit être limitée au maximum. Grognements, soupirs, « je vais venir » et autres « allons plutôt ailleurs » sont permis. Les discussions sur le temps qu’il fait, ses ex, sa blonde, la meilleure marque de lubrifiants ou les avantages et inconvénients du port du cockring sont à proscrire.

Les mecs qui marchent les bras devant et qui se cognent le visage sur les murs ne sont pas sous l’effet d’une drogue étrange — ils sont seulement trop fiers pour porter leurs lunettes. Mieux vaut avoir l’air bien que de bien voir.

Une règle de l’univers stipule qu’il faut une fois de temps en temps laisser un vieux troll nous sucer la queue. Ceci nous sera rendu au centuple lorsque nous deviendrons nous aussi un vieux troll.

Les toilettes — même celles des bains — doivent servir aussi à leur usage conventionnel. Il est souhaitable de ne pas se faire une queue pendant qu’une dizaine de mecs font la queue à l’extérieur en se tortillant.

Il faut finir ce qu’on a commencé.

Si un homme a déposé près de lui une boîte de Crisco, une ceinture et des pinces à linge, mieux vaut savoir à quoi servent ces objets avant d’entrer dans sa chambre.

Rendu au poignet, il n’est plus le temps de dire non.

C’est une bonne idée d’apporter sa propre corde. Ce n’est pas une bonne idée de s’attacher soi-même.

Passer plus de quarante-huit heures aux bains ne détruit pas votre réputation, mais ne fait rien pour l’améliorer non plus.

Un étrange phénomène physique crée des distorsions dans l’espace-temps des bains où s’engouffrent régulièrement les clés et les portefeuilles qui sont projetés à travers un trou noir de l’autre côté de la galaxie.

Plus ont reste longtemps aux bains, plus les mecs deviennent désirables.

La nuit tous les chats sont gris. Dans la pénombre des bains aussi, mais dix pouces restent quand même mieux que six.

Avoir un petit pénis n’est absolument pas un problème si on sait s’en servir. Ceux qui ont des grosses queues n’ont besoin de rien savoir.

Les mecs qui fréquentent les bains sont comme cette tribu de Bornéo qui n’ont pas de mot pour dire « non ». Ils disent au lieu : « Désolé, je viens tout juste de jouir ».

Inutile de jouer les timides pour séduire après s’être fait prendre par douze mecs dans la salle d’orgie.

Emprunter le cockring d’un autre est une faute de goût impardonnable.

Si jamais la réception vous appelle sur l’interphone, soyez assuré que vous serez dans une position impossible à quitter rapidement dans vous blesser sérieusement.

Un fou rire n’est pas une réponse polie à la question « Tu veux baiser? »

Si vous vous souvenez des titres des films pornos qui sont projetés en boucle, c’est que vous ne vous êtes vraiment pas amusé.

Cessez de vous demander pourquoi les mecs qui ne daignent même pas vous adresser la parole dans les bars vous sucent si volontiers au bain. Il n’y a pas de réponse rationnelle à cette énigme.

De la même façon, inutile de comprendre pourquoi il est gênant de baiser aux bains avec quelqu’un que vous connaissez déjà.

N’essayez jamais d’expliquer ce qui se passe au bain aux hétérosexuels. Ou à votre épouse.

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Jolies jambes… à quelle heure elles s’ouvrent?

Je regrettai instantanément ce que je venais de dire, maudissant ma stupidité en me mordant la langue de dépit. Elle se tourna lentement en faisant grincer le tabouret du bar sur lequel elle était assise et me dévisagea de ses grands yeux de biche.

Elle était d’une beauté baroque, excessive, presque insoutenable. Ses cheveux flottaient autour de sa tête comme un nuage cuivré et la pente douce et dénudée de son décolleté semblait interminable. Sa peau était légèrement constellée de petites gouttes de sueur qui provoquaient chez moi une soif étrange, une envie impétueuse de la boire jusqu’à la lie. Sa jupe était trop courte pour être honnête, fendue et provocante. Quant à ses jambes, je n’osai même pas permettre à mon regard de s’y aventurer une seconde fois.

 «C’est sûrement la phrase de drague la plus stupide que j’ai entendue de toute ma vie. Il faut vraiment avoir du talent et de l’imagination pour être aussi médiocre…» me dit-elle d’une voix céleste, irréelle. D’un seul regard, elle me tint en suspens pendant un moment qui me sembla une éternité, m’enveloppant dans les effluves épicés de son parfum.

 Soudain, comme un coup de tonnerre, elle sourit et me dit : « Tu viens me baiser dans la ruelle?»

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Catalogue vénérien: chapitre premier

(Tiré du Catalogue vénérien du ci-devant Pierre Moleskine, compilé par ses propres soins et destiné à l’édification morale des générations futures.)

Enfance et puberté

D’aussi loin que je puisse me souvenir, j’ai toujours été un garçon affectueux, doux, sensible à l’extrême, qui recherchait le contact physique avec les individus de tous âges et des deux sexes. J’étais un élève studieux, mais si rêveur. Je me souviens avoir fait des rêves éveillés qui frôlaient l’hallucination, peuplés d’êtres fantastiques et étrangement sexués.

Mon père n’était pas particulièrement présent, car ses ambitions professionnelles — et probablement aussi ses infidélités conjugales — le poussaient à faire continuellement des voyages d’affaires et des heures supplémentaires. Surtout, il passait d’un emploi à l’autre pour avoir de l’avancement, si bien que nous déménagions presque chaque année. De ma naissance à treize ans, j’ai habité dans une dizaine de villes différentes. Et nous déménagions toujours en mai, si bien que le printemps devint pour moi synonyme de déracinement.

Mon premier souvenir sexuel remonte à six ans. J’habitais un village côtier de la Nouvelle-Écosse, où mon père avait été embauché pour travailler dans une usine d’eau lourde. Un dimanche après-midi, ma mère m’avait amené au cirque. Je n’ai gardé aucun souvenir du spectacle, mais dans le programme il y avait la photo de l’assistante du magicien. Elle était en bikini : j’eus ma première érection. Je me rappelle du trouble et des sensations étranges que cet état m’avait apportés. Par la suite, j’eus de nombreuses érections et je me souviens m’être souvent caressé dans mon bain et dans mon lit, même en présence de ma mère qui, visiblement, était bien gênée par ce comportement.

Tiraillée entre la stricte éducation qu’elle avait reçue et les principes progressistes qu’elle avait choisi d’appliquer à la mienne, ma mère s’inquiéta vite de mes habitudes masturbatoires et me tint des discours confus, exaltant la beauté de la sexualité humaine et les dangers de la masturbation, une drogue plus dangereuse que l’héroïne. Le reste de mon éducation sexuelle allait être à l’avenant,  à cheval entre le savoir et l’ignorance, entre le réconfort et la peur. Curieusement, j’ai grandi dans une famille où l’homosexualité n’était pas présentée comme une tare ou une malédiction. On n’en parlait peu, et lorsque c’était le cas, on ne faisait que dire que c’était « de leurs affaires à eux » — « eux » étant ainsi ses êtres bizarres qui soit habitaient très loin aux États-Unis, soit tenaient la chronique des potins artistiques à la télé.

À cette époque, je connus la prime amourette auprès d’une fillette de ma classe. Elle se prénommait Lynn, avait une jolie frimousse et de longs cheveux noirs. C’était une fille de bonne famille — elle habitait la plus grande maison du village. Nous nous tenions par la main pour aller à l’école et échangions de petits baisers sur la bouche. Un jour, cachés derrière un buisson près du cimetière, nous avons joué à «show me your thingy and I’ll show you mine». J’ai appris, trente-cinq ans plus tard, qu’elle était devenue écrivaine et que son premier roman fut finaliste du prix du gouverneur général. C’est donc la seule vulve littéraire qu’il me fut donné de contempler de toute ma vie.  Le jour où je quittai la Nouvelle-Écosse fut un soulagement pour mes parents (le Parti Québécois venait d’être élu et les Frogs devenaient persona non grata dans ce village de red necks) et ma première peine d’amour.

Ma puberté fut précoce — du moins, je crois qu’elle l’était pour l’époque, car il me semble que de nos jours les enfants, surtout les fillettes, deviennent pubères de plus en plus tôt. Mes premiers poils pubiens ont poussé à dix ans. À onze ans, j’ai éjaculé pour la première fois. Je me masturbais depuis quelques jours sur le dos, avec un oreiller que j’utilisais comme une femme qui me prenait en amazone. L’orgasme m’a surpris et j’ai craint qu’une telle chose ne puisse jamais être reproduite.

Heureusement, mes tentatives suivantes me confirmèrent que le plaisir était littéralement à portée de main, si bien que j’entamai une longue carrière de masturbateur compulsif. Jusqu’à l’orée de la trentaine, j’ai dû me masturber six ou sept fois par jour — ce n’est que lorsque mes enfants sont nés que ma cadence onaniste s’est (un peu) ralentie.  Ne voulant pas attirer l’attention de ma mère sur ce que je croyais être une sale manie, je pris rapidement l’habitude de lécher mon propre sperme pour ne pas laisser derrière moi de papier-mouchoir incriminant. Je crois que c’est ainsi que j’ai développé une sensibilité érogène toute particulière aux odeurs et aux saveurs de l’amour. Encore aujourd’hui, il n’y a rien qui me plaît davantage que de lécher le foutre qui s’écoule d’une chatte ou d’un anus, une pratique hélas si dangereuse que je n’ai pu pour ainsi dire la pratiquer qu’avec mes compagnes légitimes.

Mes parents avaient une bibliothèque bien fournie. Elle faisait tout un pan de mur du sous-sol. Aucun de mes amis n’avait autant de bouquins dans sa maison, ce que je trouvais triste et incompréhensible. Moi, j’adorais la lecture, surtout les passages érotiques des bouquins à la couverture anodine que mes parents ne s’étaient visiblement pas donné la peine de lire. Je pense en particulier à Opus Pistorum d’Henry Miller, que j’ai lu à douze ans et qui m’a fait, le mot est faible, forte impression. Un copain de mon père l’avait oublié à la maison et ma mère, sans se poser de questions, l’avait tout simplement placé avec ses romans de Danielle Steel. J’ai dû lire ce bouquin une centaine de fois, jusqu’à ce que le coin des pages en devienne jauni de sperme séché.

À treize ans, alors que j’habitais à Sherbrooke, je me liai d’amitié avec un camarade de ma classe prénommé Éric. Il était blond, filiforme, sportif et populaire — bref, tout l’inverse de moi. Il avait besoin d’un coup de main en français pour pouvoir rester membre de l’équipe de basket et nous nous mîmes à nous fréquenter assez régulièrement, tant à l’école que chez lui où nous faisions ensemble nos devoirs et nos leçons. Éric était un sacré obsédé sexuel et ne s’en cachait pas, contrairement à moi qui vivais mes poussées hormonales dans la honte et la terreur. Il blaguait toujours à ce sujet, commentait la rotondité de la poitrine des filles et utilisait des mots que je ne connaissais pas et dont j’étais trop fier pour demander la signification, comme « enculer », « dèche », « pute » ou « clitoris ». Il avait une collection de revues cochonnes impressionnante — la plupart piqués à un de ces oncles, que nous regardions ensemble dès que ses parents avaient le dos tourné. Mieux : son père était abonné à la télévision payante et possédait un magnétoscope Beta dont il ne comprenait pas le fonctionnement. Éric enregistrait donc à son insu les films pornos softcore qui passaient aux petites heures et m’invitait, lorsque ses vieux étaient partis au chalet, à des séances de peep-show dans son sous-sol.

Évidemment, devant ce défilé de seins et de fesses, ce ne fut pas bien long avant que l’envie de se branler nous prenne. Devant un film de lesbiennes, Éric fut le premier à se débraguetter et à sortir sa queue. Elle était plus longue et plus mince que la mienne. Il se masturbait différemment de moi, en empoignant sa bite fermement et en la secouant très fort. Moi, je bandais à en avoir mal, aussi excité par les deux femmes qui se broutaient le minou à l’écran que par la première verge en érection que je voyais de ma vie — outre que la mienne, bien entendu. Voyant que je le dévisageais avec des yeux ronds comme des billes, il me dit :

— Hey, Pete… tu peux te crosser, toi aussi…

— Ben, je sais pas… j’ai pas trop envie… lui répondis-je, le visage écarlate.

— C’est comme tu veux. Moi, faut que je vienne, ces deux salopes-là sont trop hot!

Je le regardai donc se manualiser à toute vitesse, pendant peut-être une minute, jusqu’à ce que le foutre jaillisse de son gland violacé. Je me rappelle est gouttes épaisses répandues sur son jeans noir, de l’odeur, aussi.

— Ça fait du bien en crisse, me dit-il dans un soupir, en s’essuyant la main sur le divan. Tsé, t’as pas besoin d’être gêné, tu peux le faire toi aussi.

Quelques minutes plus tard, alors qu’une rousse prenait à l’écran une blonde en levrette avec un gode ceinture, j’étais devenu si fébrile que j’osai enfin me débraguetter. Éric zieuta ma bite et me dit :

— Ha ! Je le savais que tu finirais bien par la sortir. Tiens, je vais me crosser encore, moi aussi.

Et c’est ce que nous fîmes ensemble, lui les yeux rivés sur le film et les miens sur sa bite qu’il secouait avec une énergie qui me fascinait. Je jouis quelques secondes après lui et, comme à mon habitude, léchai le sperme recueilli au creux de ma main gauche. En me voyant faire, Éric fit une moue dégoûtée :

— Tu manges ta dèche? me dit-il, incrédule.

— Ouais. C’est pour rien salir.

— Man, c’est dégueu. Pourquoi tu prends pas un kleenex?

— Chais pas. C’est plus facile comme ça. T’as jamais goûté à la tienne, toi?

— T’est malade? Je suis pas fif, moi.

Je ne comprenais pas en quoi avaler son propre sperme faisait de soi un homosexuel, mais je crus bon de me défendre immédiatement de cette accusation infamante.

— Je suis pas fif non plus, hein. C’est juste pour pas me faire pogner par ma mère.

— Whatever… conclut-il et se reculottant.

Je vis souvent Éric cette année-là. Il organisa chez lui plusieurs séances de masturbation collective devant sa collection impressionnante de porno et chaque fois, nous nous déculottâmes et nous nous décalottâmes sans façons. Jamais toutefois nous ne touchâmes le sexe de l’autre; je ne crois pas qu’une telle chose ne m’ait même traversé l’esprit. Parfois, nous jouions à celui qui jouirait le premier et Éric gagnait toujours — il en tirait une fierté qui, j’en suis certain, doit lui sembler bien dérisoire aujourd’hui.

J’ai toutefois souvent fait des rêves érotiques à cette époque où se mêlaient les scénarios de ces films pornos et Éric, la trique à la main. Une nuit, je rêvai même que je suçais la queue de mon ami et qu’il suçait la mienne, avant de me réveiller en sursaut, terrorisé, le corps recouvert de sueurs froides et le pyjama taché de foutre. Depuis, j’ai baisé en rêve avec à peu près tous les gens que je connais, parents, amis, patrons et copines — avec toujours la même réveil brutal et gluant.

La dernière séance de masturbation collective de mon adolescence eut lieu un certain vendredi soir où nous étions six garçons, tous de la même classe, dans le sous-sol d’Éric, les pantalons aux chevilles et l’engin à la main, devant un film mettant en scène un plombier moustachu qui se farcissait en série toutes ses clientes. Tous commentaient en riant la grosseur des lolos et des culs, parfois l’un d’entre eux se raidissait et projetait sa semence, provoquant ainsi les cris approbateurs de ses camarades. Quant à moi, je contemplais la scène, fasciné par toutes ces verges et par l’odeur de foutre qui flottait dans l’air.

— Les gars, checkez ben Pete, dit soudainement Éric. Il mange sa dèche après s’être crossé!

— Ouache! Crièrent en chœur les quatre autres.

Je devins instantanément écarlate, furieux que mon ami divulgue mon secret.

— T’es tapette? demanda Hughes, un rouquin à qui je n’avais presque jamais parlé auparavant.

— Non! protestai-je. Je fais ça juste…

— Il dit qu’il fait ça pour pas que sa mère trouve ses kleenex, expliqua Éric en m’interrompant.

Ils se mirent tous à rire.

— Je suis sur le bord de venir, Pete… peut-être que tu veux que je te vienne dans la bouche? suggéra Stéphane, le garçon qui prenait l’autobus chaque matin au même arrêt que moi, en rigolant.

— Non! criai-je en me rhabillant.

J’ai fui, piteux, la queue entre les jambes, sous ce qui me sembla une avalanche de rires et de sarcasmes. Quelques jours plus tard, je déménageai avec ma famille en banlieue de Montréal et je ne revis plus jamais mes copains de circle jerk d’adolescence.

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Romance des cabinets

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